Les Accents têtus

Instantané

Un instant T
Un instant pas encore tanné, pas encore usé, tout neuf
Une fenêtre entrouverte sur des facéties, des grimaces d’enfants, des sourires
Plongée dans ici et maintenant
Un cadre puisqu’il faut un cadre
Je cadre

C’était hier, trois générations rassemblées
Mes parents, mon frère, mes nièces, ma fille.
Les plus jeunes debout encadrent leurs aînés assis ramassés.
Leurs silhouettes élancées semblent accompagner dans un même élan le tronc docte du tilleul à l’arrière-plan et dont le feuillage échappe à l’image.
Sur la gauche, un vieux cognassier s’efface, ses maigres branches basses irrésistiblement attirées vers le sol.
Lui faudra-t-il une canne ?
Papa, il faudra quand même se résoudre à l’abattre, non ?
Je n’obtiens pour toute réponse qu’un froncement de sourcils.

Attendre l’instant idéal où Clémence ne clignera pas des yeux, où mamie cessera de se gratter le nez, où Lucile ne chahutera plus Patou.
Papy fait semblant de rester stoïque. Mathilde au sourire éclatant entoure de son bras droit le cou de son grand-père ; le soleil accentue les reflets de ses cheveux, sa liquette blanche se détache lumineuse sur le vert sombre de la haie de charmille à l’arrière-plan.
Mamie au centre sourit aux blagues d’Alain dont le coude est négligemment posé sur le dossier de son fauteuil en teck.
Je suis par définition hors cadre et pourtant toute entière dans le champ, éprise de vue.
Plus personne ne bouge. Je clique sans tressaillir. L’écran se fige. Instant de grâce ?

Oh non ! Clémence, t’as encore fermé les yeux !

Isabelle

30/07/2012