Les Accents têtus

J’AURAIS PU SI J’AVAIS VOULU

T’as les pieds palmés
t’as vu tes mains qui sont celles d’un pantin ?
pour jouer au ballon, c’était coucou
pour jouer à la marelle c’était de l’à peu près.

Mes copines m’ont toujours acceptée envers et contre tout
j’étais à peu près normale
c’était pas souvent que j’aurais pu.
Ta mère, oui ! Pas toi.

J’aurais voulu être une artiste de cinéma.
J’avais déjà le romancier qui habitait chez lui
moi aussi.
C’étaient des scenarii pas chers payés
qui auraient pu mettre du beurre dans la soupe.

Le décor était toujours le même :
un bordel de campagne, avec des congénères qui étaient du même acabit.
La scène tournait en boucle.
Le romancier accompagné de son inséparable litron.

Il pouvait donner le coup d’envoi, scène 2 chapitre 2.
Entre deux verres
il avait le chic pour dire « coupez ».
J’aurais pu si j’avais voulu
mais non, mais non.

Jeanne Sourza voulait être petit rat
Son rôle ce fut ça ou rien du tout
Elle était sur le banc, clocharde
elle avait des ambitions surdimensionnées
Elle aurait pu
hé bien non.

Si j’aurais pu
si j’avais été speed, presto, pronto
A croire les autres
j’étais plutôt genre limace.

Je n’ose pas
je ne parle pas
ma mère le fait mieux que moi
Je ne lis pas
T’as déjà vu chez moi des bouquins genre Bibi Fricotin ?
Fallait mieux lire et apprendre l’humanité
vu que mon romancier avait toujours le nez dedans.

Je crois que même il enlevait ses lunettes
pour succuler toutes les bonnes et mauvaises nouvelles dudit canard
– et du parti.
Suivant ce qu’il avait lu,
c’était deux ou trois rasades de picrate.

J’aurais voulu être une artiste, une harpiste,
aussi une musicienne
et jouer comme Raymond Levis ou Marlène Dietrich
de la scie musicale.

Pour être une scie
tu en es vraiment une
tu racontes toujours la même chose,
comme si ton devenir devait rester immuable.

J’aurais pu écrire
avec la plume de ma tante
celle de Victor Hugo,
de René de Chateaubriand

Et puis quoi encore ?
Tu es peut-être affabulatrice plutôt.

Alberte

17/06/2022