Les Accents têtus

Le grand sommeil

Colonie de vacances, Ile de Noirmoutier 1953.

Neuf filles de 10-11 ans, neuf lits dans un petit bâtiment en préfabriqué, juste pour nous , un groupe de huit filles, au milieu des pins, derrière les dunes, tout près de la colonie.

Le soir notre monitrice reste avec nous pour le coucher. Elle nous lit souvent une histoire, puis elle éteint la lumière et reste là, un moment, assise dans le noir. Elle attend que diminuent les bavardages. Peu à peu le silence s’installe, seulement habité par la nature environnante : cris de mouettes, hululements d’une chouette, feulements d’une bagarre de chats, et loin, le grondement des vagues qui s’écrasent sur la plage que nous connaissons si bien. J’écoute ces bruits connus, d’un monde tranquille et sans malice. Nous savons les déchiffrer dans la tranquillité du soir.

Puis la monitrice, va rejoindre les autres monitrices pour leur réunion du soir et leur deuxième dîner, entre elles. Nous restons dans le grand dortoir.

Des hululements de chouettes gonflent en d’étranges hurlements que seul un être maléfique est capable d’émettre. Plus de feulements de chats, mais le souffle menaçant d’énormes félins.

Si le vent a un peu forcé, plus de bruissements de branches balancées par le vent, mais le craquement des pas énormes d’un presque vampire qui se prépare, en cassant une branche, à briser l’une de nos fenêtre. Il va entrer dans notre dortoir, attraper l’une d’entre nous et l’emporter sous son bras.

Les bêtes familières – mulots, écureuils, renards, rats des champs, hulotte – ont disparu.
Elles ont muté en un long charivari de monstres petits ou grands, volants, courants, rampants, dentés ou pas. Elles tournent autour du petit bâtiment. Elles se moquent de nos peurs en sifflant, nous désignent de leurs cris, frappent le sol à en faire vibrer nos murs. Elles sifflent, rotent, soufflent. Elles crachent et cassent, fouissent le sable, déterrent choses et bêtes. Cette confusion de bruits, ce sont les souffles et les cris de bêtes immondes et malfaisantes qui habitent la forêt, c’est certain.

S’il n’y a pas de vent, les bruits sont plus ténus. Ce sont les scouts d’un camp voisin qui viennent nous rendre visite en catimini, une visite autant souhaitée que redoutée. Pour nous emmener chez eux ou bien rester discuter avec nous. Dans le noir…

D’autres fois encore, malgré le drap relevé sur mon front, c’est la sorcière du conte d’Hansel et Gretel qui s’approche pour prendre la plus appétissante d’entre nous, la traîner derrière elle, l’enfermer dans une cage pour se la manger.

Un soir, c’est certain, c’est le mari de la femme qui fait le ménage dans la colonie, qui a cherché à ouvrir la porte, il la secoue. C’est moi qu’il veut emmener, c’est sûr, parce que je suis la plus jolie, ou peut être la plus laide, ou simplement parce qu’il sait que je ne pourrai pas crier.

Et chaque soir ces images et ces bruits se perdent dans le sommeil, le grand sommeil d’une petite fille qui, toute la journée, a couru, joué, chanté, ri, s’est baignée. Et dont les grandes frousses du soir ont prolongé les plaisirs solaires de la journée.

Monique D

27/06/2022