Les Accents têtus

La chambre d’hôtel

Je suis née à l’hôpital Hôtel Dieu dans le 4ème arrondissement de Paris.
Ma famille vivait dans une chambre d’hôtel située à Paris cinquième, rue Maître Albert.
La chambre, à mes yeux immense, était au troisième étage. Elle mesurait à peu près 20 mètres carrés avec une fenêtre qui donnait sur la cour de l’hôtel.
La journée, la pièce servait de salle de séjour, de cuisine et de salle de bain. La nuit, elle devenait chambre. Les rangements étaient astucieux, chaque coin de la pièce optimisé.
Compte tenu de l’espace restreint, mes parents ne devaient pas s’encombrer de futilités. Ils gardaient le strict minimum.
Au début il y avait deux grands lits pliables, rangés dans un coin de la pièce.
La famille s’agrandissait. Papa avait demandé au propriétaire de reprendre les lits. Maman avait confectionné des couettes sur lesquelles nous dormions. Le soir, elle les alignait par terre. Ces lits improvisés étaient installés jusque devant la porte. Pour sortir, il fallait réveiller ceux placés près de la porte.
Dès que nous nous réveillions, maman ramassait nos lits de fortunes qu’elle pliait et rangeait dans un coin de la chambre sur un petit tabouret bas. Ensuite, commençait notre toilette pour enfin, préparer le petit déjeuner.
Je n’avais pas l’impression d’être à l’étroit. Il est évident que maman devait être organisée dans cette pièce multifonction.
Je n’ai gardé aucun souvenir d’une armoire pour le rangement de nos vêtements, des ustensiles de cuisine et la vaisselle. Par manque de place il n’y en avait pas.
Les vêtements étaient rangés dans les sacs. Pour la vaisselle, papa avait posé des étagères derrière la porte et sur le bord de la fenêtre, il avait disposé une boîte en bois qui servait de garde manger.
L’eau et les sanitaires se trouvaient sur le palier au quatrième étage.
Maman lavait son linge sur ce palier et l’étendait dans la cour.
Notre toilette se faisait dans la chambre. Maman utilisait une grande bassine en zinc et des seaux d’eau. Elle effectuait des allers-retours pour récupérer l’eau, la chauffait, nous lavait et remontait jeter l’eau usée.
La cuisson du repas se faisait sur un réchaud à pétrole. Nous mangions sur une table basse. Des coussins, création de maman, faisaient office de chaises. La table, une fois le repas terminé, était mise debout contre le mur, le réchaud à gaz mis dans le coin. Les coussins étaient rangés avec les couettes.
Nous avions un poêle à charbon pour chauffer la pièce en hiver. Le charbon était stocké sur le palier dans une grande caisse en bois.

Dans l’hôtel, nous n’étions pas la seule famille à l’étroit. D’ailleurs un matin, j’accompagnais maman pour s’approvisionner en eau sur le palier où se trouvait la fontaine… Maman et plusieurs femmes se saluaient et devaient faire trop de bruit en attendant leur tour. Une femme entrouvre la porte de sa chambre bloquée par le lit dans lequel elle se trouvait et hurle : vous ne pouvez pas nous laisser dormir ! Les regards de toutes se tournent vers elle et l’une lui lance, ma fille l’heure de dormir est passée. Lève-toi.

Un soir, papa et maman s’affairaient à déplier les lits, quand papa marcha sur mon cheval de bois sur roulette. Je l’avais laissé trainer près de la fenêtre. Il cria de douleur et d’un geste d’énervement, il prit le cheval de bois et le jeta par la fenêtre.
Cette nuit-là, je pensais à mon pauvre cheval seul dans la nuit, dans la cour de l’hôtel. J’en voulais à mon papa d’avoir jeté mon cheval.
Le lendemain matin, avec mon frère, nous sommes descendus récupérer le cheval de bois.
Gros drame. Il n’était plus là ! Qui l’a récupéré ? Où est-il ?
Je n’ai pas crié, de grosses larmes coulaient sur mon visage. Mon frère pour me consoler, avait dit : ne t’inquiète pas, je vais mener mon enquête et je le récupérerai.
Je n’ai jamais retrouvé mon cheval de bois.

Un jour je jouais dans l’escalier, une voisine cria, attention la souris s’est sauvée par là. Prise de panique, je montais en courant l’escalier, tambourinais à la porte de chez moi et criais vite, vite. Ma grande sœur ouvrit et demanda : Pourquoi vite ?
–  Il y a une souris dans l’escalier.
–  Ah oui, tu l’as vu ?
–  Oui.
–  Et comment était-elle ?
–  Elle portait un manteau !
–  Elle portait un manteau ?
–  Oui, et il était rouge.

Gros délire dans la pièce. Fait relaté à tout l’hôtel que j’avais croisé une souris vêtue d’un manteau rouge !

Quand mon père a loué cette chambre, ils étaient quatre : papa, maman, ma sœur et mon frère. Quand nous avons quitté cette chambre, nous étions huit. Mes parents sont restés cinq ans dans cet hôtel.
Je n’ai jamais vu maman en colère ou stressée. Elle s’affairait dans cette petite pièce, semblable à une fourmi. Chaque chose avait sa place, déplier, replier, ranger. Son quotidien était très structuré.
Ces flashs de mes souvenirs, pour cette période de mon enfance insouciante, restent gravés dans ma mémoire d’adulte.

Badia

07/05/2016