Les Accents têtus

L’Italienne

Son nectar fait tiers entre le jour et la nuit…

Discrète présence dans la pénombre du matin. Les doigts saisissent le manchon de bakélite. Petit poids. Contact léger, délicat où s’apposent des bribes de rêves … A peine.

Elle est petite et ronde et galbée. Le métal est froid. Elle est lisse et nue à sa base, ce qui la distingue d’entre toutes. Rouge et fuselée en haut. Le contact est granuleux et même râpeux là où l’émail vermillon s’est écaillé.

Une main enveloppe la base glabre qui emplit la paume, le maintien est large et confortable. L’autre main, comme une pince à sucre, s’empare de la partie haute. Les doigts enserrent les à plats du métal ciselé et déculottent le couvercle qui tressaute un peu. Le temps d’apercevoir une présence d’acier qui s’érige au centre.

La torsion est libératrice. La taille fine baille soudain un soupir d’aise humide, et sépare deux morceaux distincts dont émerge un troisième. Un panier, dessous de métal perclus de petits trous qu’il faut ôter.

Apparaît la cavité sombre et secrète du fondement où l’eau s’engouffre. Ce qu’il faut. Juste au dessous du boulon, qui traverse la paroi de part en part tel un ombilic. Il s’agit de rejeter une puis deux goutes de trop, de réévaluer la quantité d’un œil averti, et de replacer le panier avec son cylindre creux qui plonge alors dans la nuit de l’eau. A peine la clarté aura-t-elle pénétré les ténèbres profondes, juste le temps de repérer le niveau de l’eau vouée à chauffer jusqu’à l’évaporation totale.

Donner alors son contenu au panier percé. Les grains moulus exhalent d’un récipient dont on sort la quantité juste, un arôme chaleureux, enthousiaste. L’effluve réconfortante chatouille les narines qui frémissent imperceptiblement… S’enivrer de l’odeur en tassant. Ni trop, ni trop peu. Faire le tour, avec application et délicatesse, de la circonférence métallique.

Revisser fort. Net. A la limite de l’étranglement. Laisser suinter la dernière plainte. Ainsi corsetée, fagotée serrée, notre discrète retrouve ses courbes.

Poser la chose reine en équilibre sur la grille. Du bout des doigts encore, dégager l’allumette de sa boîte, la frotter et tourner le bouton du gaz. Voluptueuses petites flammes, à vous de jouer ! Veillez préalablement à ce que l’anse de bakélite soit protégée du feu. Il suffit d’un écart furtif, d’une légère flexion du doigt, pour la placer hors de la portée des flammettes. S’éloigner, comme d’un nouveau né, juste un instant, vaquer à d’autres occupations, légères et brèves. En attente du chuchotement récompense.

Sans précipitation, le chant est doux à l’oreille, le pouce et l’index pincent le tout petit chapeau de bakélite noire lui aussi, et soulèvent un bref instant le couvercle. D’un regard s’assurer de l’aboutissement du processus. Les derniers soubresauts du breuvage dégorgent de la petite cheminée, pendant aérien du cylindre creux des profondeurs. Une fois encore le poids de l’eau a déjoué la gravité pour se charger du suc fortifiant.

Eteindre le feu. Prendre sa tasse et, incliner l’italienne. Le café, trop chaud, s’écoule du bec verseur. Suspendre l’instant, avant de le porter aux lèvres…

Lili

31/07/2011