Les Accents têtus

Insomnie en banlieue

La banlieue dormait dans son hiver trop doux.
La chambre était noire, si noire qu’on ne pouvait y piéger aucun contour, ni de rêve, ni de réalité ; de quoi s’éveiller, si l’on dort, de quoi oublier la sensation de soi, si l’on ne dort pas, ou plus. L’entre deux.
Juste avant la crainte de l’insomnie de cinq heures du matin, il remarqua entre les rideaux de coton sombre une faille de lumière, qui entrouvrit ses yeux, reconnecta ses neurones pour reconnaître la clarté tamisée du réverbère placé contre le coin du mur du jardin. Il sut alors que derrière la toile, l’immeuble était là, toujours allumé dans ses derniers étages sans doute de bureau, statue garante de l’urbanité du lieu.
L’oreille perçut enfin les quelques ronflements des motos ou véhicules perdus, perdus vraiment?
Leur expression était plutôt celle d’une liberté retrouvée sur le grand cercle trop vide la nuit, trop plein le jour, comme sa vie peut être.

Ce fut alors, alors seulement, qu’il entendit qu’elle zinzinulait.
Elle, lui, on ne pose jamais la question de l’oiseau qui chante. Il entendit le cri joyeux d’un enfant qui joue, le solo du virtuose, l’ode au printemps, le sifflement du peintre.
Banale, cette ode elle l’était par les multiples poésies, les premières des enfants, les suivantes des grands qui ne feront jamais mieux que Prévert. Mais elle était.
Dans le silence, dans la nuit lourde; un défi sidérant à l’insomnie humaine,
une bravade sidérale à la solitude.
Une crânerie commune à la mésange qu’on dit charbonnière (pour sa verve au travail?) ,juchée ce soir -là sur la dernière branche d’un pommier de banlieue.
Il souleva la couette, alla à la fenêtre et promena son regard sur les arbres du jardin,
avec quelques secondes l’espoir de voir l’oiseau.
Il savait déjà qu’il ne le verrait pas, c’était trop sombre, et il pensa alors à celle qui avait ce don d’attraper de ses yeux le passage furtif de l’animal sauvage : un faisan au travers des herbes de clairière un jour de chasse , la queue d’un renard s’enfonçant dans le bois de Vincennes,
deux furets se poursuivant sous les roues de voitures garées devant les murets du jardin,
la rue la nuit devenait un terrain de jeu immense: bosses, ombres chinoises, trottoirs devenus continents.
Ils étaient alors ces deux furets joueurs, s’inventant des mondes, glissant l’un sur le corps de l’autre, autant de toboggans enivrant leurs destins.
De sa peau à elle, il effleurait les cratères, les broussailles, les plis de ses collines,
la folie de ses grains, ses vergers d’orange et de pêche.
Il en serait alors devenu cannibale.
Elle n’était maintenant que fourreau de ses rêves, satin éraflé par les insomnies.
De sa peau à lui, elle s’était éloignée, depuis combien de temps, il se rendait compte qu’il n’avait pas compté ces mois, un an peut être.

Il retourna se coucher. La couette était encore tiède, la mésange s’était tue : il s’endormit.

Valérie

05/2014