Les Accents têtus

Vodka

Nous étions un nombre certain
Pris dans la fête nous nous tenions la main
Dans les rues animées de la nuit nous chantions, gais.
A notre passage la foule des restaurants riait.
Dans le bar de la place du marché nous nous sommes arrêtés
D’autres avaient eu la même idée
Rare endroit correct de la ville où s’enivrer.
Et malgré le froid, aux tables sur le trottoir sommes restés.

La joie échauffe
L’alcool réchauffe
VODKA !
Rions encore, raconte-moi toujours
VODKA !
Je suis ivre.
De l’autre côté de la place, allons danser
Oh oui dansons !

(…)

Tous partons
Les bras dessus, les bras dessous, nous entrons.
Drôle d’endroit pour des rencontres.
Au Chinois, tout n’est que parpaing et béton
Au Chinois, ce soir là, musique orientale et mauvais son
Des hommes seuls, que des hommes seuls

Ils dansent, on se mélange.
Les mains se touchent
L’une m’emporte et je tourbillonne
L’autre m’attrape et je papillonne
Dansez, dansez, faites–moi tourner

STOP !
Maintenant elle veut rentrer
Ils sont avides, elle est frivole
Le jeu se corse, c’est agaçant.
Plus de vokda, plus de Chinois.
Dans la ville décatie, elle titube au beau milieu de la nuit
Et leurs caresses au loin la suivent.
Sur la grande place des hommes encore,
Que des hommes dans la lumière jaune.
Il est là, elle le voit, il guette
Les silhouettes se croisent
Pour quel deal, pour quel trafic ?
Les félins aux yeux de fauves partent à la chasse
Le ballet des ombres glisse sur les murs crasses.
Elle emprunte l’avenue qui monte vers l’autoroute
Le manège est fermé, les enfants ont fini de jouer.
C’est le temps des grands maintenant.
Elle avance et elle tangue
Proie trop facile, il lui faut être habile.

Elle avance mais temporise
Il ne faut rien qui l’excite.
Elle quitte le boulevard et prend les ruelles
Zigzaguer et peut-être le semer
La frousse dégrise et le froid réveille
Elle tourne dans la cité, ça passe ou ça casse.
Elle longe la crèche puis l’école
Grande pancarte « école en danger »
En face les grands immeubles en partie allumés
S’il la chope, ils lâcheront peut-être leur télé
Les poubelles débordent de partout, un rat lui coupe la route
Elle reprend son souffle, ne pas se retourner, continuer.
Elle n’entend que ses propres pas, elle a certainement tout imaginé.
Elle coupe par la galerie, rentrer vite, quand même.
Dans le tube crasseux elle court presque
Ses talons résonnent.
Le taxiphone est fermé
Le boucher est fermé
Le boulanger est fermé
Le bar est fermé
Elle esquive les merdes immondes de pigeons qui jonchent le sol
Elle voit le bout là-bas, la maison n’est pas loin.
D’autres pas que les siens, soudain.

E.G.

07/03/2016